La princesse et le miracle

Samedi dernier, Argenteuil. Soirée spéciale avec diffusion de Princesse Arête et Mai Mai Miracle, en présence de leur réalisateur, Sunao Katabuchi, un ancien du studio Ghibli. En tant que fan furieux d'Arête (sur lequel j'aurais tant à dire, mais toujours autant de flemme), je me devais d'y être.



18h15, toujours rien, la billetterie est en panne et le film précédent est en retard. Il y avait une trentaine de personnes à tout casser (c'est peu, et surtout des enfants venus avec leurs parents, aucun impact des sites spécialisés japanime), Katabuchi était présent dans la file, avec Ilan Nguyen et le sympathique organisateur du festival. Milady est allée se taper la discute avec eux (parce que chuis timide et que j'aurais pas osé sinon), et je l'ai rejointe. Le film commence vers 18h30...

Moi j'étais venu pour voir une copie 35mm du film, que ce soit en français ou en anglais, ou même en raw, m'en fichais pas mal. Au final, "On n'a pas pu avoir les bobines, donc on vous a fait un DVD"... Ah ouais, super. Donc au final, on a fait une heure de route pour voir une image est très nettement inférieure au fansub anglais (!!) qu'on trouve en deux secondes sur tokyotosho, avec une bande bleue à droite de l'écran qui gênait[1], bref ça commençait mal... En plus, ils ont mis trois plombes à trouver le bouton Play du DVD (sic, l'interface était visible à l'écran), le film a commencé sans le son (!) et en 4/3 (image compactée), ils l'ont ensuite relancé en 16/9 mais sans les sous-titres, puis finalement ils ont pensé à monter le son et à remettre les sous-titres... Environ 2mn du film étaient passées, et il ne leur est pas venu à l'esprit de remettre le film au début, bien sûr.

Ensuite, régulièrement pendant le film, on voyait apparaître un timecode (si si, comme si on ouvrait un fichier SRT en texte...), avec le sous-titre suivant qui se retrouvait mélangé avec le précédent (et donc, pas de sous-titres pour la phrase suivante). Le pompon, c'est au milieu du film quand tout d'un coup un sous-titre s'est bloqué pendant une conversation... Moi je me concentrais pour écouter la VO et essayer de traduire en temps réel à Milady (euh pas facile quand même...), quelqu'un derrière a gueulé "ça marche plus !", puis c'est revenu... Franchement, ça sentait le travail d'amateur (dans le mauvais sens du terme) de long en large. Triste constat, le film n'a pas eu le centième du traitement royal qu'il méritait...

À la fin de la séance, ma voisine s'est exclamé, "Ouf, c'est pas trop tôt !"... Une bonne partie du public s'est éclipsée avant même les questions au réalisateur. Il faut croire que Princesse Arête ne fait pas l'unanimité, mais qui ça surprendra, dans des conditions pareilles...? En fait, la majorité du public était composée de parents qui emmenaient leurs enfants voir un film avec une princesse. J'ai pas osé les prévenir avant la séance parce que vu qu'il n'y avait déjà pas grand-monde, je voulais pas que la salle soit désertée, et autant laisser une chance aux enfants de voir un putain de chef-d'oeuvre...

- Bon, ensuite les questions au réal... Avec Ilan Nguyen à la trad'... Quelques questions intéressantes du public, une question d'un otaku barbu qui était visiblement obnubilé par un syndicat d'animateurs (je vois pas le rapport), quelques questions de moi aussi...

D'abord une question compliquée... Pourquoi le film est-il si différent du bouquin original, qui était une oeuvre ouvertement féministe ? On a l'impression que le film est post-féministe, que l'on accepte de facto que la femme est forte, et qu'on s'intéresse plutôt à la condition de l'emprisonnement. Arête est prisonnière de son père puis du magicien Boax ("Boox" en VO STF, on sent la profondeur du travail de recherche), la grenouille est prisonnière de son corps d'humain et n'aspire qu'à redevenir grenouille (ça j'ai oublié d'en parler au moment où j'ai posé la question par contre), ou encore Boax qui est prisonnier de ses 2-3 tours de magie alors qu'il aimerait pouvoir en connaître plus mais que c'est impossible.

Il a répondu que le projet n'était pas de lui à la base, et qu'il avait repris le film en main pour essayer de le sauver[2] En écrivant le scénario, il s'est posé la question de savoir comment un homme pouvait adapter une oeuvre féministe. Il a donc décidé de partir sur autre chose, non pas l'état d'emprisonnement comme je le pensais, mais quelque chose de plus général dans son oeuvre, le fait de chercher un sens à sa vie. Il est vrai qu'Arête redevient "normale" en se souvenant du jour où elle a montré avec conviction qu'elle croyait qu'elle avait un sens. Boax, lui (d'après Katabuchi), est persuadé que sa vie a un sens, mais Arête va lui prouver que non et il va découvrir ses désillusions.
Je vous avouerai que je préférais mon interprétation, mais pourquoi pas. Dans le film suivant, la thématique de "l'imagination qui permet de s'enfuir d'une vie déprimante" revient également au tout début (en fait c'est même le concept de base de la première demi-heure, jusqu'à ce que le film s'embourbe).

À la fin, j'ai posé une question naïve mais finalement bienvenue : "Au final... Vous êtes content de votre film ?" -- Et là il est parti sur une longue réponse pleine de passion. Il a répondu qu'il avait revu ce soir le film pour la première fois depuis des années, et que ça l'avait surpris. D'un côté, il passait son temps à pester contre des défauts de réalisation selon lui ("j'aurais dû mettre plus d'herbe dans ce plan", par exemple), mais de l'autre, il pense que le film voit juste dans son propos. Je suis totalement d'accord avec lui -- en fait, j'aurais même tendance à dire que c'est quelque chose qu'on ne retrouve pas dans un Mai Mai Miracle à la thématique moins claire.

- Bon, après, court entracte, me suis retrouvé seul devant Katabuchi à essayer de lui dire en japonais qu'il était un de mes réal préférés, je suis parti (je sais pas pourquoi, le trac ?!) sur le fait que mon autre réal préféré était Shigeyasu Yamauchi, "Vous connaissez ? - Non, jamais entendu parler... - Ah bon... Pourtant il a travaillé chez Mad House...[3] - Oui mais vous savez, Mad House c'est très compartimenté." Bon, je suis rentré un peu bête de m'être rappelé à quel point je suis nul en oral en japonais, et en prime j'ai raté le début de MMM.

- MMM je vais la faire court : la copie du film était nickel, rien à redire sur quoi que ce soit, c'est juste que le film ne raconte rien de très intéressant... La séance de questions par la suite a expliqué un peu. Le bouquin d'origine est assez fidèlement adapté contrairement à Arête, il est constitué en grande partie d'anecdotes sur la jeunesse de l'auteur (Nobuko Takagi). Le film se déroule à Hôfu en 1955. Il y avait dans la salle un journaliste d'Hôfu qui venait faire un reportage sur la diffusion, c'était marrant. Katabuchi a beaucoup parlé de la ville, notamment du fait qu'elle avait une dizaine de cinémas maintenant, et plus qu'un aujourd'hui, il a parlé du fait que son grand-père tenait un cinéma et qu'il allait souvent voir les films en cachette (avec l'histoire de la tortue, c'est l'une des deux anecdotes "tranche de vie" du film qui viennent de Katabuchi lui-même et non de Takagi), etc, etc. Enfin bref c'est très intéressant mais ça m'a pas vraiment touché je dirais...[4]

Mai Mai, ça parle donc de l'amitié d'une bande de copains/copines, qui se retrouvent dans des situations comiques (les deux filles qui mangent des bonbons alcoolisés, la scène la plus drôle du film, mais qui paradoxalement nous apprend que la mère d'une des deux filles est morte, contrairement à ce qu'on pensait), et les mettent face à des drames plus ou moins grands : la mort d'un poisson rouge (qui ressuscite à la fin, cherchez pas à comprendre, il a envoyé en touche quand quelqu'un a posé la question), la mort du père d'un des personnages (la scène où son fils cherche à le venger est touchante), puis d'encore un autre personnage, puis le déménagement de l'héroïne... Arrivé à la fin du film, j'avais l'impression d'avoir surtout vu des enfants confrontés à la dureté de la vie, et qui s'en échappent par l'imagination (constants flashbacks de 1000 ans dans le passé où les personnages se mettent en scène). Idée inspirée par le débat sur Arête, évidemment...
Que dire d'autre ? Katabuchi lui-même reconnaît que son film a fait un bide au Japon. Il est sorti dans un nombre de salles ridicules (vous vous souvenez du sort réservé au Tenkai ?), et il compte beaucoup sur le bouche-à-oreille pour la survie du film dans les circuits.

Quant à moi j'ai posé cette question pendant le débat (et juste ça parce que je voulais pointer du doigt toutes les références à Arête[5] mais il faut pas trop pousser quand même, j'en demandais beaucoup à Ilan) : le fil, qui entre parenthèses est techniquement super réussi, ressemble à s'y méprendre à une production Ghibli. En plus de ça, il y a une scène (la petite soeur qui est perdue et qu'on cherche à retrouver) qui rappelle Tonari no Totoro (avec en plus le fait que les petits s'inquiètent pour leurs parents), il y a le côté "tranches de vie nostalgiques" qui rappellent Omoide Poro Poro... Est-ce que le fait de revenir à un style Ghibli représente pour vous une manière de montrer votre propre nostalgie ? (Je voulais aussi parler du fait qu'il y avait beaucoup de points communs avec d'autres films "inspirés graphiquement de Ghibli" sans être des Ghibli, comme Junkers Come Here! ou Ushiro no shômen daare...)
Réponse, donc : "Non, pas vraiment. En fait c'est plutôt une référence à la série Heidi de Takahata. A la fin du dernier épisode, Heidi reçoit une lettre de Clara qui lui annonce qu'elle a réussi à courir[6]. J'ai voulu faire un film qui raconte une histoire d'amitié comme dans Heidi, et qui se termine par les enfants qui courent, parce que ça m'a frustré de ne pas la voir courir." Parfois, il suffit de peu... ;)



Voilà, pour le reste il y a eu d'autres infos intéressantes mais je n'ai pas pris de notes, et j'ai un peu oublié.
Après la fin du débat (il était 23h passées, le film avait pris beaucoup de retard, ayant commencé à 21h), je suis retourné voir Katabuchi pour me faire dédicacer mon livre d'Arête (qui est super moche, mais c'est pas grave, j'avais pas le CD sur moi), et il nous a gentiment offert, à Milady et moi, les deux badges Mai Mai qu'il avait montré pendant le débat en expliquant que c'étaient des fans japonais qui avaient "spontanément" fabriqué et offert ces badges pour aider à la promotion du film après l'avoir vu. Merci monsieur pour cette belle soirée stimulante ! :sumanai:
 1. Vous voyez ces vieilles K7 Sécam transcodées d'autre chose ? C'est pareil.
 2. Pour ceux qui ne savent pas, la gestation du film a duré 8 ans, soit peu ou prou celle de Kamui no ken qui est un autre exemple connu de naufrage. D'après le site officiel, Katabuchi a découvert le livre (assez quelconque soit dit en passant) en 1989, à l'époque où il travaillait sur Kiki en compagnie d'Eiko Tanaka et Kôji Morimoto, rencontre qui les poussera à monter le studio 4°C. M'est avis que le projet fut d'abord poussé par Eiko Tanaka, la productrice.
 3. En fait c'était l'année dernière... Cette année il a travaillé pour JC Staff et David Productions.
 4. J'envisage quand même d'acheter le Blu-Ray, mais plus pour encourager le film que par conviction. J'entends par là que je trouve scandaleux qu'Arête, lui, ne soit toujours pas disponible en DVD ou BR en France, ni en BR au Japon...
 5. (1) Une jeune fille qui sort de la déprime par le pouvoir de l'imagination, (2) Des enfants qui construisent un barrage et forment un lac artificiel, (3) Les météorites...
 6. Le pire c'est que je m'en souvenais, de cette scène... Sic.

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Excellent article, merci.

C'était vraiment très intéressant à lire.

Pour être plus chiant, j'aurais une réflexion qui me vient à la lecture: Pense-tu qu'il soit possible d'avoir les (merde je sais plus comment ça s'appelle) trucs avec les numéros en fin de paragraphe plutôt qu'en fin de post? En effet, j'ai trouvé compliqué d'aller voir ces..(ah putain)...on va dire alinéas à la toute fin pour ensuite retrouver l'endroit où je m'étais arrêté...

Offline Nao/Gilles

  • Admin
Je suis pas sûr que l'article soit intéressant pour ceux qui n'ont vu aucun de ces deux films... Ca spoile un peu (rien de primordial, quand même), et je n'ai pas pris la peine de résumer (j'aurais peut-être dû).

Pour ton problème technique, je rappelle simplement que tu peux cliquer sur le numéro et être renvoyé directement en face du commentaire... Pour revenir en arrière, c'est au choix le bouton "Back/Précédent", ou simplement cliquer sur le numéro à gauche (eh oui, il est cliquable et renvoie vers le message d'origine... :^^;:)

Je suis pas sûr que l'article soit intéressant pour ceux qui n'ont vu aucun de ces deux films... Ca spoile un peu (rien de primordial, quand même), et je n'ai pas pris la peine de résumer (j'aurais peut-être dû).
Ben je n'ai vu aucun de ces deux films et ça ne m'a pas empêché d'apprécier l'article!
Pour ton problème technique, je rappelle simplement que tu peux cliquer sur le numéro et être renvoyé directement en face du commentaire... Pour revenir en arrière, c'est au choix le bouton "Back/Précédent", ou simplement cliquer sur le numéro à gauche (eh oui, il est cliquable et renvoie vers le message d'origine... :^^;:)
Ah ben je savais pas  :P

Offline Nao/Gilles

  • Admin
Ben je n'ai vu aucun de ces deux films et ça ne m'a pas empêché d'apprécier l'article!
Alors je te conseille vivement de te procurer "Princess Arete" sur tokyotosho.info, ça se télécharge rapidement et vu que le film n'a pas eu le moindre succès (même d'estime), la seule chose que je puisse faire, c'est encourager à sa diffusion gratuite !
(Et c'est valable pour tous ceux qui comprennent un peu l'anglais !)

J'étais persuadé qu'il existait un DVD français de Princesse Arete, mais il n'en est rien.

Offline Nao/Gilles

  • Admin
Ah non non, jamais rien eu du tout... Ca n'intéresse aucun éditeur, ça ne rentre pas dans une "case" toute faite. Ce n'est pas du dessin animé pour enfants, malgré le graphisme et le "setting", et ce genre de truc n'attire pas les éditeurs en masse. (Suffit de voir le bide que se prennent des réalisateurs comme Jun-ichi Satô en France...)

PS : je passe mon temps à mettre un chapeau sur le e de "Arete", mais je ne devrais pas. Dans le livre anglais, il est bien écrit "Arete" et pas "Arête". Et comme ça se prononce "Arite", ça veut bien dire que son nom se prononce à l'anglaise. Mauvaise habitude de ma part qui se retrouve dans mon billet...

C'est bien dommage. Donc à part l'édition japonaise et le téléchargement sur le net (j'ai vu qu'on pouvait le télécharger en 2 parties, ainsi que les sous-titres, sur un site français, si je ne m'abuse), il n'y a rien, c'est triste.

Heureusement que Mai Mai Miracle va sortir directement en DVD.

Offline Nao/Gilles

  • Admin
En deux parties je sais pas de quoi tu parles. Y'a le fansub de Genbu et Solar, c'est tout ce que je sais, il est d'excellente qualité. Jamais vu de fansub VO STF traîner, mais de toute façon j'évite toujours comme la peste (pour moi, y'a que les fansubs Cyna qui vaillent la peine :P)

Mai Mai, s'il ne sort qu'en DVD je n'y touche pas, s'il sort aussi en Blu-Ray j'achète. Je sais que je fais un peu snob là, mais pour moi l'intérêt n°1 du film c'est la beauté de ses décors...

Pour le fansub de Princess Arete, c'est à cette adresse.

Sinon, pour Mai Mai Miracle, ce n'est pas impossible qu'il y ai une édition en Blu-ray.

Offline Nao/Gilles

  • Admin
C'est malin de mettre les sous-titres sur la mule... C'est petit, y'a que ça qui m'intéresse, et ils ont pas de source dispo...

Pour Mai Mai je doute quand même. Je crois pas que Kaze ait sorti de films en BR pour le moment ?

En Blu-ray, chez Kaze, il y a Origine et Brave Story. C'est des rééditions, puisqu'ils sont déjà sorti en DVD.

Mais il ne faut pas trop espérer, car le marché français de la japanime est entrain de se casser la figure (du moins niveau animation), et sortir un Blu-ray, cela signifie encore moins de vente.

Offline Nao/Gilles

  • Admin
Disons que le Blu-Ray peut aussi atteindre un public qui n'achète plus de DVD parce que "c'est trop pourri, autant downloader le rip HD"... :^^;:
En tout cas moi depuis que je suis au HD et au Blu-Ray, ça me fait mal aux yeux de voir des DVD.

Oui, mais là, on parle d'animation japonaise. Le public qui achète se compte déjà sur les doigts d'une main, alors celui qui est équipé en Blu-ray, il doit être tout seul le pauvre. :mdr: Les boîtes françaises se cassent la gueule, ce n'est pas en se mettant au BD, que ça risque d'arranger la situation.
« Last Edit à 1h13 »

Offline Nao/Gilles

  • Admin
Ecoute je sais pas... Moi je constate juste que je boude totalement l'univers du DVD depuis que j'ai mon lecteur BR.

Les seuls DVD que j'aie achetés, c'est l'intégrale de Red Dwarf en VO STF parce que je les ai touchés à 5¤ le DVD et que c'est pour "conserver". (J'avais déjà l'intégrale en DVD anglais mais bon vous savez comment c'est les fans...... Tiens d'ailleurs y'a un article sur RD dans le dernier Canard PC. Il passe trop de temps à raconter l'histoire mais il est quand même positif. Vive la pub pour RD.)

Aucun rapport, mais c'était juste pour signaler que le titre du billet était une référence à "La princesse et la grenouille" (le miracle c'est Mai Mai sauf que c'est pas vraiment un miracle mais bon), vu que l'un des persos principaux de Princess Arete est une grenouille transformée en homme et qui cherche à redevenir grenouille (l'inverse de l'habitude, quoi)... Mais bon en général quand on se sent obligé de signaler le jeu de mots, c'est qu'il est foireux :P